Vivre le
carême.
Dans la règle, Benoît consacre un chapitre à l’observance du
carême : voici ce qu’il dit :
1 Les moines doivent toujours
vivre comme pendant le Carême, c'est sûr !2 Mais peu d'entre eux ont ce courage. C'est pourquoi nous recommandons de garder une vie très pure, au moins pendant le Carême,
3 et donc d'effacer pendant ces jours saints toutes les négligences du reste de l'année.
4 Pour y arriver, voici ce qu'il faut faire : abandonner tous nos penchants mauvais, faire effort pour prier avec larmes, pour lire, pour avoir le cœur peiné d'avoir offensé Dieu, pour nous priver.
5 Alors, pendant ces jours, ajoutons quelque chose au service habituel qui est notre devoir : prions plus souvent seuls devant Dieu, prenons moins de nourriture et moins de boisson.
6 Ainsi chaque moine offre librement à Dieu et avec la joie de l'Esprit Saint quelque chose en plus de ce qu'on lui demande,
7 c'est-à-dire : il mange moins, il boit moins, il dort moins, il parle moins, il évite les plaisanteries. Et il attend la sainte fête de Pâques avec la joie du désir inspiré par l'Esprit de Dieu.
8 Mais ce que chacun veut offrir à Dieu, il le proposera à son abbé. Ainsi il agira avec son accord et avec l'aide de sa prière.
9 En effet, quand un moine agit sans la permission du père spirituel, il faut penser que cela vient de l'orgueil ou du désir d'être admiré. Et Dieu ne récompense pas cette façon de faire. Donc, il faut tout faire avec l'accord de l'abbé.
Juste quelques mots à propos de ce chapitre : tout
d’abord, Benoît parle peu de joie dans sa règle… c’est normal dans un texte à
couleur législative, et pourtant, voici que dans le chapitre du carême, il en
parle deux fois. Le carême contrairement à l’expression « faire mine de
carême », nous invite à la joie, une joie vraie, pure et profonde. Pas la
joie épidermique du carnaval ! mais la joie de l’Esprit Saint dit st
Benoît, et plus loin la joie du désir inspiré par l’Esprit de Dieu.
La joie a quelque chose à voir avec l’Esprit Saint de Dieu,
l’Esprit qui est l’amour entre le Père et le Fils. La joie nait dans cette
relation au sein de la Trinité. Joie du lien d’amour.
La question qui pourrait nous aider à préparer le carême,
pourrait donc être : qu’est-ce qui va ranimer en nous la joie
profonde ? Qu’est-ce qui va aider cette joie à l’emporter, à nous emporter
jusqu’en la Pâque nouvelle.
Le carême est un temps de désert, on le présente souvent comme
un temps de privation, sans doute devrait-on plus justement le regarder comme
un temps de remise en ordre, de rééquilibrage. Un temps où les excès vont faire
place à la mesure, à la sobriété, à la simplicité de vie. Benoît dit, la vie du
moine devrait être en tout temps aussi observante qu’au carême, mais puisque
notre humanité est faible, convenons au moins de revenir à la vie juste, la vie
ajustée à Dieu et à nos frères, durant ce temps de carême. Oui, le carême est
un temps de désert, mais de désert orienté, orienté vers Pâque, vers le salut
que Dieu nous offre.
Benoît nous invite à effacer les négligences des autres temps.
La religion relie, la négligence casse le lien. Michel Serres, s’appuyant sur
l’étymologie, oppose souvent la religion à la négligence. Benoît en carême nous
demande de réparer les négligences des autres temps, autrement dit de refaire
du lien. Si nous préparions le carême en nous demandant, comment refaire du
lien en nos vies ? lien avec Dieu, lien avec nos proches, lien avec les
lointains, lien avec nous-mêmes, lien avec la planète.
Si cette année au lieu de jouer les ascètes qui vont se priver
de ceci, de cela, et encore de ceci, nous parlions en termes de faire du lien,
de reconstruction…
Bien sûr pour refaire le lien, il va falloir poser des choix…
faire du lien avec Dieu, fixer des moyens de revenir à lui au long du jour…
pour cela créer espace et temps. Ce peut être en se mettant à l’écoute de sa
Parole aussi. Refaire du lien fraternel avec les proches et les lointains, pour
cela il faudra sans doute revenir à une simplicité de vie, qui permet d’entrer
en relation sans compétition, mais dans le partage. Donner le primat à l’être
sur le faire. Refaire du lien avec soi, en apprenant à vivre avec nous-mêmes,
sous le regard de Dieu. Refaire du lien avec notre terre, en apprenant à la
respecter, à la vivre avec tendresse.
Je vous propose à la suite de Benoît, un carême de tisserands
dans la joie de l’Esprit saint.
Peut-être pourrions-nous le préparer en nous interrogeant plus
avant : qu’est-ce qui va ranimer en nous la joie profonde ?
Sr Thérèse-Marie