dimanche 26 février 2017

Vivre le carême



Vivre le carême.
Dans la règle, Benoît consacre un chapitre à l’observance du carême : voici ce qu’il dit :
1 Les moines doivent toujours vivre comme pendant le Carême, c'est sûr !
2 Mais peu d'entre eux ont ce courage. C'est pourquoi nous recommandons de garder une vie très pure, au moins pendant le Carême,
3 et donc d'effacer pendant ces jours saints toutes les négligences du reste de l'année.
4 Pour y arriver, voici ce qu'il faut faire : abandonner tous nos penchants mauvais, faire effort pour prier avec larmes, pour lire, pour avoir le cœur peiné d'avoir offensé Dieu, pour nous priver.
5 Alors, pendant ces jours, ajoutons quelque chose au service habituel qui est notre devoir : prions plus souvent seuls devant Dieu, prenons moins de nourriture et moins de boisson.
6 Ainsi chaque moine offre librement à Dieu et avec la joie de l'Esprit Saint quelque chose en plus de ce qu'on lui demande,
7 c'est-à-dire : il mange moins, il boit moins, il dort moins, il parle moins, il évite les plaisanteries. Et il attend la sainte fête de Pâques avec la joie du désir inspiré par l'Esprit de Dieu.
8 Mais ce que chacun veut offrir à Dieu, il le proposera à son abbé. Ainsi il agira avec son accord et avec l'aide de sa prière.
9 En effet, quand un moine agit sans la permission du père spirituel, il faut penser que cela vient de l'orgueil ou du désir d'être admiré. Et Dieu ne récompense pas cette façon de faire. Donc, il faut tout faire avec l'accord de l'abbé.

Juste quelques mots à propos de ce chapitre : tout d’abord, Benoît parle peu de joie dans sa règle… c’est normal dans un texte à couleur législative, et pourtant, voici que dans le chapitre du carême, il en parle deux fois. Le carême contrairement à l’expression « faire mine de carême », nous invite à la joie, une joie vraie, pure et profonde. Pas la joie épidermique du carnaval ! mais la joie de l’Esprit Saint dit st Benoît, et plus loin la joie du désir inspiré par l’Esprit de Dieu.
La joie a quelque chose à voir avec l’Esprit Saint de Dieu, l’Esprit qui est l’amour entre le Père et le Fils. La joie nait dans cette relation au sein de la Trinité. Joie du lien d’amour.
La question qui pourrait nous aider à préparer le carême, pourrait donc être : qu’est-ce qui va ranimer en nous la joie profonde ? Qu’est-ce qui va aider cette joie à l’emporter, à nous emporter jusqu’en la Pâque nouvelle.
Le carême est un temps de désert, on le présente souvent comme un temps de privation, sans doute devrait-on plus justement le regarder comme un temps de remise en ordre, de rééquilibrage. Un temps où les excès vont faire place à la mesure, à la sobriété, à la simplicité de vie. Benoît dit, la vie du moine devrait être en tout temps aussi observante qu’au carême, mais puisque notre humanité est faible, convenons au moins de revenir à la vie juste, la vie ajustée à Dieu et à nos frères, durant ce temps de carême. Oui, le carême est un temps de désert, mais de désert orienté, orienté vers Pâque, vers le salut que Dieu nous offre.
Benoît nous invite à effacer les négligences des autres temps. La religion relie, la négligence casse le lien. Michel Serres, s’appuyant sur l’étymologie, oppose souvent la religion à la négligence. Benoît en carême nous demande de réparer les négligences des autres temps, autrement dit de refaire du lien. Si nous préparions le carême en nous demandant, comment refaire du lien en nos vies ? lien avec Dieu, lien avec nos proches, lien avec les lointains, lien avec nous-mêmes, lien avec la planète.
Si cette année au lieu de jouer les ascètes qui vont se priver de ceci, de cela, et encore de ceci, nous parlions en termes de faire du lien, de reconstruction…
Bien sûr pour refaire le lien, il va falloir poser des choix… faire du lien avec Dieu, fixer des moyens de revenir à lui au long du jour… pour cela créer espace et temps. Ce peut être en se mettant à l’écoute de sa Parole aussi. Refaire du lien fraternel avec les proches et les lointains, pour cela il faudra sans doute revenir à une simplicité de vie, qui permet d’entrer en relation sans compétition, mais dans le partage. Donner le primat à l’être sur le faire. Refaire du lien avec soi, en apprenant à vivre avec nous-mêmes, sous le regard de Dieu. Refaire du lien avec notre terre, en apprenant à la respecter, à la vivre avec tendresse.
Je vous propose à la suite de Benoît, un carême de tisserands dans la joie de l’Esprit saint.
Peut-être pourrions-nous le préparer en nous interrogeant plus avant : qu’est-ce qui va ranimer en nous la joie profonde ?
Sr Thérèse-Marie

dimanche 12 février 2017

Présentation de Jésus au temple (2)


Le verbe « consoler », en hébreu, vient d’une racine dont la signification de base est celle d’inverser un cours d’action. Cela donne par exemple : « inverser la spirale négative des humeurs », d’où « consoler ». Au sens réflexif, cela donne « se repentir, se raviser », et ce sens est surprenant quand il a Dieu comme sujet, par exemple juste avant le déluge, quand « Dieu se repent d’avoir créé l’homme » (Gn 6, 6-7), ou encore après le péché du peuple, quand Dieu se repent de sa colère (à la prière de Moïse : Ex 32, 14). Oui, la Bible dit qu’il arrive à Dieu de se repentir, de se raviser, de changer d’avis…A ce moment, on pourrait dire aussi : « Dieu se console ». Cela ne veut pas dire qu’il est versatile : c’est par fidélité à lui-même, à sa justice autant qu’à sa miséricorde, qu’il garde au cœur cette sorte de botte secrète : sa consolation, sa capacité d’inverser le cours des choses sans entamer la liberté des hommes…

La consolation, dans le langage biblique, désigne donc un renversement de situation. Et c’est cela que voit Syméon, ce que l’Esprit Saint lui fait comprendre : Dans ce petit enfant de 40 jours qu’un jeune couple vient présenter au temple, il voit la consolation d’Israël, il voit le renversement de situation imaginé par Dieu pour sauver l’humanité.

Là où tous voient un fils d’homme présenté à Dieu par un couple, il voit le Fils de Dieu offert aux hommes. Un fils d’homme offert à Dieu… le Fils de Dieu offert aux hommes.

Et il voit plus loin : il voit aussi l’autre renversement que cela implique, à l’autre bout de l’existence : il voit qu’en assumant la condition humaine par sa naissance, Dieu endosse aussi la mort (lettre aux Hébreux) et il voit le retournement que cela entraînera pour la mort : « par sa mort, il va réduire à l’impuissance celui qui possède le pouvoir de la mort ».

Syméon voit tout cela, avec ce regard large que lui donnent le grand âge et l’expérience, illuminée par la prière et l’écoute de l’Esprit.

Syméon fait le lien entre Noël et Pâques. Il reçoit de Marie l’enfant de Noël et il remet à Marie l’enfant de Pâques. Il reçoit de Marie un tout-petit qui ne suscite que tendresse et émerveillement, il remet à Marie le Fils de Dieu déjà chargé de la gravité de Pâques.

Avec Syméon, recevons de Marie la Consolation d’Israël, le Fils de Dieu fait homme, le mystère du salut qui renverse les perspectives et bouleverse les attentes.
Avec Marie, accueillons dans nos vies l’enfant de Pâques, déjà ce « grand prêtre miséricordieux et digne de foi pour les relations avec Dieu », qui entre aujourd’hui dans le Temple, lui qui va souffrir jusqu’au bout, pour nous, l’épreuve de sa Passion afin de nous libérer pour toujours de la crainte de la mort.
  

Sœur Marie-Raphaël, 2 février 2017

dimanche 5 février 2017

Présentation de Jésus au temple (1)



« Nous te cherchions, Seigneur Jésus, 
nous t’avons longtemps attendu,
Nous avions soif de ton visage,
Ô seul désir pour notre foi, 
qu’un long regard posé sur toi. »

Ce couplet de l’hymne que nous avons chantée ce matin convient parfaitement à Syméon et Anne : « ô seul désir de notre foi qu’on long regard posé sur toi ».
Longue, si longue attente enfin exaucée !

Syméon attendait la consolation d’Israël. Que veut dire cette expression ? Dans la traduction liturgique, on a mis le mot Consolation avec une majuscule, comme s’il s’agissait de quelqu’un

La consolation est un thème cher aux prophètes, notamment Isaïe et Jérémie.
On connaît le début du chapitre 40 d’Isaïe (le début du « livre de la Consolation ») : « Consolez, consolez mon peuple, dit votre Dieu, parlez au cœur de Jérusalem… ».
 Il y a aussi ce beau passage du chapitre 52, 7-9 :

« Comme ils sont beaux sur les montagnes, les pas du messager, celui qui annonce la paix, qui porte la bonne nouvelle, qui annonce le salut, et vient dire à Sion : ‘Il règne, ton Dieu !’ Écoutez la voix des guetteurs : ils élèvent la voix, tous ensemble ils crient de joie car, de leurs propres yeux, ils voient le Seigneur qui revient à Sion.  Éclatez en cris de joie, vous, ruines de Jérusalem, car le Seigneur console son peuple, il rachète Jérusalem ! »

Syméon et Anne sont comme les guetteurs décrits par cet oracle. Ils ne désespèrent pas, malgré le temps qui passe. Ils restent éveillés, attentifs pour scruter les signes de Dieu. Et leur joie déborde quand ils peuvent annoncer : « j’ai vu, de me propres yeux, le Seigneur qui revient à Sion, le Seigneur qui console son peuple… »


Sœur Marie-Raphaël, 2 février 2017